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ENTRETIEN AVEC PENÉLOPE MELERO DE LE VOILÀ

Dans une rue calme du centre de Séville, il existe un endroit où le temps semble s'être arrêté. Sous un plafond peint en 1897 par l'artiste sévillan José Rico Cejudo, les mains de Penélope Melero donnent forme à des pièces qui naissent du geste et de l'émotion.
Plácido y Grata

Sa boutique-atelier, Le Voilà, est une petite célébration de la beauté sur mesure, du détail comme langage et du dialogue entre le passé et le présent.

Le Voilà est né et continue de vivre au cœur de Séville. Quel rôle joue la ville dans ta façon de créer ?

La ville offre une intensité quotidienne — la lumière, le bruit, la façon dont on vit dans la rue — qui nourrit beaucoup le regard. Ici, tout est visible : les gens s’habillent, s’expriment, occupent l’espace avec une certaine théâtralité naturelle. Cette énergie sociale nous rappelle que la création peut aussi être un geste public, que les pièces ne sont pas seulement des objets, mais font partie d’un rituel partagé. Je dirais que ma façon de créer est traversée par cette tension entre le local et l’universel, entre l’exubérance et la sobriété, parfois à parts égales.

 

Séville a une manière très particulière de comprendre la beauté, le détail, la célébration… Comment cette essence dialogue-t-elle avec ton travail ? Penses-tu que la ville t’a appris à regarder différemment les matériaux, la lumière ou même la couleur ?

Ici, la beauté est célébrée sans complexe, ce qui a un côté libérateur et un autre côté provocateur. À Séville, tout rivalise avec l’excès : l’architecture, les fêtes officielles et officieuses, les vêtements, les fleurs, les voix. Parfois, la saturation visuelle vous oblige à trouver votre propre rythme. La lumière de cette ville ne pardonne pas : elle change les nuances. C’est une observation quotidienne, c’est une activité. Je comprends la lumière comme un matériau supplémentaire.

Ton atelier se trouve dans un lieu chargé d’histoire, surmonté d’une fresque de José Rico Cejudo datant de 1897. Comment cet environnement si singulier influence-t-il ton quotidien ?

Travailler sous une fresque de la fin du XIXe siècle te donne une certaine conscience de la continuité : cela te place dans une chaîne de métiers qui existe depuis des siècles dans la ville. Ce n’est pas seulement un décor, c’est une présence silencieuse. Dans un environnement aussi chargé de mémoire, la clé est de rester frais : permettre aux matériaux contemporains, aux expériences et aux essais de cohabiter avec cette présence. C’est un équilibre curieux : travailler dans un lieu qui a une âme vous oblige à regarder plus loin.

“Le travail manuel est une conversation. Ce n’est pas un acte solitaire, mais un dialogue entre le corps, l’outil et le temps”

Dans la lignée de la question précédente, ton univers esthétique s’inspire des avant-gardes artistiques du XXe siècle, mais aussi de la nature et de la vie quotidienne. Comment ces mondes coexistent-ils dans ton esprit ? 

Ce qui n’est ni classique ni moderne perdure sans être surexploité par la tendance absolue du marché. Les avant-gardes m’intéressent par leur capacité à remettre en question la forme, à libérer le regard. Elles sont le passé, le présent et l’avenir.

J’embrasse la nature comme un chaos beau, insaisissable et précis. Personne ne remet en question cette beauté. Entre les lignes tortueuses et les motifs géométriques des ailes des papillons, par exemple, des histoires se racontent. Je ne travaille pas et ne crée pas des pièces pour une vitrine, mais pour des personnes qui s’aiment, bougent, s’embrassent, font la fête… Ce mélange me permet de créer des pièces qui ont une structure et une intuition.

Tu as dit un jour que tu aimais « tester les matériaux, les textures, toucher ». Qu’est-ce que le geste manuel a de si irremplaçable ?

Revenons un peu à l’intuition. Le geste manuel est commun à tous. On n’a pas besoin de réfléchir pour savoir si un muffin sera bon. On le touche, on le sent et on le sait. La main sait avant la tête. En touchant un tissu, une fibre ou un métal, on perçoit immédiatement son tempérament, sa souplesse, sa résistance, même si, sans expérience, on peut ingérer un muffin avarié.

Le travail manuel est une conversation. Ce n’est pas un acte solitaire, mais un dialogue entre le corps, l’outil et le temps. C’est pourquoi j’ai du mal à considérer Le Voilà uniquement comme une marque. Je préfère le voir comme un espace d’expérimentation permanent, où l’action fait partie de la réflexion. Et si un jour je fais un muffin trop dur, je l’utilise comme presse-papier.

Plácido y Grata

Chez Le Voilà, on ne vend pas seulement des pièces, on crée des liens. Comment se passe le dialogue avec les clientes qui viennent chercher « leur » coiffe ou leur accessoire ? Te souviens-tu d’une histoire particulière liée à une pièce ou à une mariée qui t’a marqué ?

Chaque commande s’apparente à un portrait. Le dialogue avec les clientes est une partie essentielle du processus. Je ne crée pas pour une silhouette abstraite, mais pour une personne concrète, avec ses gestes, sa timidité ou son assurance. Les conversations, les essais, voire les doutes, font partie intégrante de la construction de la pièce. 

Je me souviens particulièrement d’une mariée voyageuse qui est venue à Séville, presque par hasard. Elle est entrée dans la boutique et m’a soudainement dit qu’elle se mariait dans quelques mois et qu’elle voulait que je lui confectionne une coiffe qui « ne ressemble pas à une coiffe », quelque chose de léger, pas trop moderne et sans références explicites à l’Andalousie. J’ai littéralement modelé sur sa tête et lui ai dit de revenir dans deux jours.  Quand elle l’a essayé, elle a souri et m’a dit : « Je ne savais pas ce que je voulais, mais maintenant je sais que c’est ça ». De plus, cela résume très bien le nom de la marque : « C’est ça ! Le voilà ! ». Cette courte phrase résume très bien ce que je recherche : des pièces qui transcendent les codes locaux, mais qui continuent d’avoir une âme. Outre la pièce ou un client avec une anecdote, les personnes qui me font confiance depuis des années sont très importantes. J’ai la chance d’avoir créé des robes de mariée pour des clientes qui reviennent pour la coiffe de baptême et la coiffe de communion de leur fille. C’est vraiment réconfortant et cela crée des liens.

Et enfin, comment imagines-tu Le Voilà dans dix ans ?

Plutôt que d’imaginer un destin tout tracé, j’aimerais que Le Voilà reste un lieu de rencontre entre le métier et l’expérimentation : un lieu où la tradition manuelle continue d’avoir de la valeur, mais sans nostalgie. Un lieu où l’artisanat peut dialoguer avec la technologie, avec la recherche sur les matériaux.

Et surtout, j’aimerais qu’il conserve son caractère propre : un équilibre entre le sud et le monde, entre le proche et le contemporain. Qu’il reste ancré dans ses racines, mais sans rester immobile. Cela me rendrait heureuse.

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Plácido y Grata

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